[Harmonie Communale - lettre #4] La Honte
Cher·e·s ami·e·s
Cette semaine et la suivante (si les circonstances le permettent), nous donnerons trois représentations de La Honte – les auditions, un spectacle que nous concevons comme autonome, mais qui est un fragment d'un spectacle plus long, dont la création se fera sur les prochaines saisons.
La Honte, la pièce complète, est un texte que j'ai écrit voici deux ans, et qui depuis est en constante évolution. Remarqué par un grand nombre de comités de lecture, il a fait l'objet de plusieurs lectures publiques, et une autre équipe le monte actuellement, à Paris, sous la direction de Jean-Christophe Blondel, avec notamment Pauline Sales dans un des rôles principaux (ce qui m'honore).
La pièce est divisée en 6 longues scènes qui sont chacune comme des petites pièces en un acte. Dans la première, une doctorante est chez son directeur de thèse. Elle est venue lui poser des questions sur sa thèse. La discussion dérive, devient plus personnelle. À l'issue de la pièce, il y aura une relation sexuelle entre les deux.
À la lecture ou à l'écoute de la pièce, tout le monde n'interprète pas cette scène de la même manière : pour certaines personnes, c'est un viol, indéniablement ; pour d'autres, les choses ne sont pas si claires. Cette diversité d'interprétation constitue l'enjeu de la suite de la pièce.
Après cette soirée, l'étudiante signale le comportement du professeur. L'université mettant du temps à réagir, des associations s'emparent de l'affaire. Face à la mobilisation, l'université accepte de saisir une commission disciplinaire. Et comme on accuse son fonctionnement d'opacité, il est décidé que les séances de cette commission se feront en public.
Les scènes suivantes sont les auditions de la commission disciplinaire, qui entend séparément l'étudiante, puis le professeur. Le public assistant au spectacle est pris à partie ; il incarne littéralement le public de l'université venu assister aux débats.
Les travaux de la commission disciplinaire s'appuient sur la diversité d'interprétation que provoque la première scène. Qu'avons-nous vu dans cette scène ? La commission est le lieu d'un affrontement entre deux interprétations. Contrairement à certaines de mes autres pièces, qui refusent d'arbitrer entre des raisons concurrentes, une des interprétations va l'emporter dans La Honte. La pièce consiste à construire un consensus autour de cette interprétation, plutôt que de le décréter d'avance. Nous partons d'une scène qui divise l'audience (parce que la société est divisée sur la lecture qu'il convient d'adopter face à de telles situations). La pièce travaille à ré-unifier l'audience autour de l'interprétation qui finit par l'emporter. Mais cette victoire n'a de valeur qu'à condition que l'interprétation inverse ait semblé l'emporter parfois ; qu'à condition que les débats semblent parfois indécidables, que les arguments portent de part et d'autre. Pour que la victoire soit réelle, il a fallu qu'elle soit incertaine.
La partie se déroulant lors de la commission disciplinaire est donc profondément dialectique ; elle prend le temps de déployer les arguments en faveur d'une certaine lecture, avant un jeu de renversement des perspectives qui correspond au mouvement profond de la pièce.
À l'issue des auditions, la pièce nous fait entendre les plaidoiries de chacune des parties, avant deux scènes finales dont je laisse la surprise.
Je crois que La Honte est une pièce complexe, qui prend le temps de donner raison à chacun, avant de faire triompher une interprétation. C'est une pièce qui permet d'avoir pitié pour celui dont on sait qu'il a tort, et parfois d'être agacé par celle dont on sait qu'elle a raison. C'est une pièce qui s'ouvre à l'ambivalence d'impression que génère un basculement de paradigme, tout en étant très claire quant à son discours normatif. Ce texte est à la fois le résultat d'une grande phase d'écoute, mais aussi une sorte de structure mentale à l'intérieur de laquelle je débats avec moi-même.
Cette pièce est délicate à monter. Elle occasionne beaucoup de débats entre nous, passionnants, à l'issue desquels j'ajuste le texte. Elle repose sur une adresse directe au public, et les réactions de ce dernier agissent sur les interprètes, rendent certaines phrases plus difficiles que d'autres. Aussi avons-nous décidé de monter ce spectacle par étapes, en ouvrant très tôt le processus au public. Cette année, nous créons donc La Honte – les auditions. Ce spectacle autonome propose au public une expérience bien différente de celle qu'il vivra devant La Honte. Comme son titre l'indique, il n'assistera qu'aux auditions, et pas à la scène originelle. Il s'agira donc d'imaginer cette scène à partir des auditions.
J'avais eu l'occasion, l'an dernier, de tester cette approche de la pièce grâce à une lecture organisée par la Comédie Poitou-Charentes. Cela m'avait convaincu que ces scènes avaient une sorte d'autonomie, et qu'il serait passionnant de l'assumer. Depuis, nous avons vécu en septembre une étape à l'université de Strasbourg, dont le Service Culturel a proposé à l'Harmonie Communale une association pour deux saisons. La sortie de résidence que nous avons donnée à l'issue de notre semaine de travail nous a confirmé l'intérêt d'avoir isolé ces deux scènes.
Le spectacle est une mise en scène collective, comme à notre habitude dans l'Harmonie Communale. J'y retrouve mes camarades Kathleen Dol et Clémentine Desgranges, et nous accueillons Anne de Boissy et Gilles Chabrier. Anne est une des premières personnes à avoir lu le texte. Je lui en ai parlé alors que j'étais en écriture, parce que j'avais été extraordinairement frappé de la voir dans Boire, d'après le texte de Fabienne Swiatly. Gilles nous a été proposé par Anne. Ils partagent une complicité qui servira la pièce. Nous sommes particulièrement heureux de ces rencontres.
Dans La Honte : les auditions, j'assume le rôle de Mathieu Luziro, l'un des professeurs de la commission disciplinaire. C'est une sorte de test, je ne suis pas sûr de vouloir ou de pouvoir tenir ce rôle lors de la création de la pièce complète. Quant à Clémentine, elle interprète un rôle qui n'apparaît pas dans les deux auditions ; vous la découvrirez donc plus tard. Cela lui donne une position précieuse de « regard extérieur », pour ces deux scènes.
Enfin, nous retrouvons pour ce spectacle nos camarades Benoit Brégeault à la création lumière, Anabel Strehaiano à la scénographie, et bien entendu Nicolas Ligeon à la production.
Le spectacle dure une heure quinze. Nous le jouons dans ces deux théâtres amis que sont le Centre Culturel Communal Charlie-Chaplin à Vaulx-en-Velin (ce vendredi 30 octobre à 19h, à la salle Victor-Jara) et La Mouche à Saint-Genis-Laval (le mardi 3 novembre à 19h). Nous le jouerons également – et c'est une expérience plus inattendue – ce samedi 31 octobre, vers 15h, à Grrrnd Zero, entre deux concerts. Nous sommes bien curieux de voir ce que ça va donner dans ce contexte.
J'espère vous voir à l'une ou l'autre de ces dates. D'ici là, portez-vous bien en cette période difficile...
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